Les chroniques de Pierre Vignes- épisode 3 et fin

Quelques années après mon départ en retraite, une nouvelle orientation fut adoptée pour donner du sens à ma suite et fin de vie. Cette mutation se fit avec le ralliement de mon épouse Délia Vignes et le développement d’une collaboration en couple, à la fois paritaire, très exigeante et complémentaire. Nos nouvelles activités de recherche et de vulgarisation prirent forme dans l’engagement associatif, au sein de plusieurs associations de défense de l’environnement, mais aussi et surtout en indépendants, sinon en solitaires. De nombreux amis nous apportèrent leur aide, sous forme d’accompagnement sur le terrain, de conseils, d’encouragements, de mises en relation, de caution sous la garantie de leur autorité. Une mention spéciale est à réserver à la botaniste autodidacte Nicole Marchal. Nous nous sommes beaucoup appris mutuellement lors de nos nombreuses rencontres sur le terrain. L’ensemble des nouvelles initiatives de mon couple fut regroupé sous un slogan global, la « Saga des plantes libres ». Les formes prises furent variées. Les unes reposaient sur des contacts avec le public : excursions guidées, conférences avec vidéo-projection (84 en 10 ans), participation à des Salons du Livre, expositions. François Dusoulier, Conservateur du Muséum d’Histoire Naturelle de Toulon et du Var, nous a consacré une belle exposition durant 4 mois en 2016 sur le thème « Saga des plantes libres » (figure 3). Les autres formes d’activité furent des publications : livrets et boîtes de fiches de découverte dans un cadre associatif, ouvrages pour bibliothèques chez des éditeurs, l’un régional (Edisud), l’autre national (Larousse). Larousse nous a mis à contribution à plusieurs reprises, plus particulièrement pour notre « Herbier des plantes sauvages » (figure 4) qui a été traduit dans plusieurs pays d’Europe. En dehors des documents publiés, notre stock est tellement lourd et nos âges si avancés que nous avons jugé raisonnable, en 2016, de signer des conventions séparées avec 3 Institutions publiques : le Muséum de Toulon, le Parc National de Port-Cros et le Conservatoire botanique de Porquerolles, en leur transmettant notre « corpus » afin que nos partenaires en fassent bon usage avec une large part de liberté (figure 5)

Mais le Faron dans tout cela ? Eh bien le Faron nous a procuré un nombre non négligeable de plantes participant à la diversité éclectique de notre échantillonnage. Lors de leur représentation, nous tentons de faire apparaître le plus possible d’organes différents de la plante. Nous joignons aux aspects en taille réelle des détails plus ou moins agrandis, soit parce qu’ils sont porteurs d’informations chargées de sens, soit parce qu’ils sont surprenants de beauté ou d’étrangeté. La première plante présentée ici est le laser de France Laserpitium gallicum (figure 6), une ombellifère élégante et aux essences parfumées que l’on trouve par exemple en bordure de la route du plateau sommital, à un endroit où l’on peut stationner. Ses fruits colorés et ouvragés ressemblent à des joyeux lampions de papier, pour retraite aux flambeaux. La seconde plante est la nigelle de Damas Nigella damascena (figure 7), renonculacée présente au Faron, par exemple à gauche de la route, au début de la montée à sens unique. Tout est curieux chez elle : ses fruits en ballons cornus, ses graines noires condimentaires qui lui valent son nom vernaculaire (nigelle signifie à peu près noiraude). Ici nous ne montrons que deux autres étrangetés : les « pétales » bleus sont en réalité des sépales. Les pétales véritables sont transformés en nectaires enrôlés dans une ronde de farfadets ou de korrigans, aux bouilles d’extraterrestres, avec des oreilles de Mickey, des yeux globuleux et un sourire dans toute la largeur. En pareil cas nous changeons d’échelle de perception et trouvons un dépaysement total dans un monde de lilliputiens qui nous échappe d’ordinaire. Le Faron nous a surtout fourni une occasion de découverte, plutôt de semi-découverte, avec une plante aussi attachante que redoutable, l’anagyre fétide Anagyris foetida (figure 8).

Cette légumineuse (on dit aujourd’hui fabacée) a des allures de genêt mais présente des particularités qui en font un modèle à part dans sa Famille botanique. C’est uniquement à ce titre que nous l’avons d’abord recherchée. Le précieux botaniste Yves Morvant, en janvier 2012, nous guida, Nicole Marchal et moi, vers le site peu accessible du Faron où vit cette plante exceptionnelle (près du dernier parking dans la montée, en empruntant un sentier périlleux). Simultanément, il nous apporta des informations complémentaires qui ne se lisent pas toutes sur cette plante dont les particularités sont les suivantes : – elle occupe des sites rocheux particulièrement arides, surchauffés l’été – elle fleurit en hiver – elle est très toxique dans toutes ses parties – elle est présumée attachée à des lieux stratégiques propices à la défense, dès l’Antiquité, avec possible emploi de son poison sur les flèches – c’est la seule plante connue en Europe dont la pollinisation est assurée par des oiseaux (passereaux tels que fauvettes et pouillots) pour lesquels le nectar n’est pas toxique – les fleurs d’une part (plus précisément leurs calices et leurs corolles), les graines d’autre part, ne sont pas toutes de même couleur – les grosses gousses s’entrouvrent à peine et les graines ne sont libérées que par des causes accidentelles extérieures – les graines ont une cuticule épaisse et imperméable qui contrarie leur germination, mais garantit leur longue conservation Après notre récolte en 2012, la question s’est posée pour nous de savoir si toute les fleurs d’un buisson sont de même couleur, si toutes les graines d’une gousse sont de même couleur, enfin – en cas de réponse affirmative aux deux premières questions – s’il y a corrélation entre la pigmentation des fleurs et celle des graines. En bref, a-t-on affaire à deux sous-espèces ou variétés génétiques distinctes ? La vérité n’est pas anodine car les toxicologues ont besoin de tout savoir sur les plantes dangereuses qui appellent leur intervention et dont la toxicité est possiblement variable. En janvier 2013, nous sommes retournés, Nicole Marchal et moi, dans le même site. Sous les fleurs de l’année gisaient au sol les gousses intactes et pleines de l’année précédente (figure 8). La corrélation des pigmentations s’est avérée flagrante. Sur le montage ci-joint (figure 9), les couleurs brun, vert-de-gris et améthyste de l’anagyre de gauche (a) s’expliquent par la présence additionnelle d’un seul et même pigment anthocyanique violet qui manque à l’anagyre de droite (b), en raison de la défection d’un gène. Nous devons à l’amabilité d’Henri Michaud, du Conservatoire de Porquerolles, de disposer d’une réponse partielle à nos interrogations. Le Muséum de Paris détient une planche d’herbier sec préparée au XIX° siècle par Philippe, Directeur du Jardin de la Marine à Saint-Mandrier (figure 10). Une fois sa planche séchée et alors que les couleurs étaient disparues, Philippe a rédigé dans un coin de la feuille un commentaire dans lequel il a mélangé des éléments de description qu’il n’avait pas mémorisés. Malgré cette confusion, il a eu la primeur du soupçon de deux anagyres concurrents dans la région toulonnaise. A défaut d’une découverte, notre rôle a été de préciser un peu plus des éléments de description et de les fixer par une méthode de création d’herbiers virtuels qui se conservent indéfiniment … tant que le support informatique ne se dégrade pas. Mieux qu’un antagonisme, il y a complémentarité entre des méthodes traditionnelles qui ont fait leur preuve et des techniques modernes. Prétendre à plus, surtout dans le cas particulier, serait un tantinet « fan-Faron ».